Les objectifs de transition écologique sont-ils en contradiction avec l’aménagement urbain et le logement ?

La publication annuelle "4 pages HLM" de Interco CFDT est sortie pour 2023. Débat, réflexion et actions qu’il nous faudra toutes et tous engager pour réussir une transition écologique juste.

Edito

Changement climatique : sept Français sur dix le ressentent dans leur quotidien, quatre sur dix ont déjà pensé à déménager, d’après le baromètre de la Fondation pour la Nature et l’Homme en collaboration avec Odoxa (mai 2023).

Cette année pour notre 32è édition du quatre pages spécial 83è Congrès HLM de l’USH, la fédération INTERCO-CFDT a souhaité contribuer au débat, à la réflexion et aux actions qu’il nous faudra toutes et tous engager pour réussir une transition écologique juste, thème également choisi au mois de juin dernier pour notre Conseil National Fédéral.

Le logement, sa conception, sa construction, son entretien, sa capacité à répondre aux enjeux climatiques, de sobriété énergétique, doit aussi répondre aux besoins sociaux. Les constructions de logement HLM ne sont pas suffisantes et le niveau des réhabilitations sont à la peine.

Aussi, nous souhaitons pointer les contradictions que doivent affronter les Offices Publics HLM et les COOP-HLM, tout comme les autres acteurs du logement social, au moment de nouvelles constructions et de réhabilitations lourdes : les coûts, certes, mais aussi les choix de matériaux dans un contexte où les soutiens financiers sont comptés, contestés, soumis à des règles de répartitions défavorables.

Notre organisation s’engage ainsi à ce que nos militant·es et adhérent·es participent sur leurs lieux de travail, dans les Offices Publics de l’Habitat et dans les COOP HLM, tout comme dans leurs lieux de vie, à défendre l’idée d’une offre de logements neufs ou rénovés durables, respectueux des enjeux climatiques et, surtout, en plus grand nombre, afin de permettre aux plus modestes de vivre cette transition juste, pleinement.

Faire face à la réalité

Dès la fin du XIXè siècle, il est démontré par des scientifiques que la concentration de l’atmosphère en CO² est un des principaux gaz à effet de serre. Pourtant, il aura fallu la réunion de 3000 scientifiques dans le GIEC sous l’égide de l’ONU en 1988, la production de 6 rapports et la tenue de 27 COP, depuis le sommet de Rio en 1992, pour une prise de conscience des effets de l’activité économique de l’homme à l’origine du réchauffement du climat.

Pourtant les évolutions en termes d’écoconstructions s’imposent difficilement.

C’est pourquoi nous ferons un focus de l’impact de l’application de la transition écologique sur 3 domaines particuliers du secteur du logement :

  • En commençant par la contradiction entre les modes de production de la filière construction ; les objectifs de réduction du réchauffement climatique et les besoins en logement.
  • Viendront ensuite les conséquences du ZAN zéro artificialisation nette sur l’Urbanisme opérationnel du logement.
  • Enfin, nous évoquerons le coût de l’inaction des acteurs face au changement climatique dans le secteur du bâtiment

1/ Contradiction entre les modes de production de la filière construction ; Les objectifs de réduction du réchauffement climatique et les besoins en logement

Deuxième plus gros poste d’émission après les transports, le logement représente 11 % de nos émissions de gaz à effet de serre (GES). La construction et la rénovation de logements engendrent aussi chaque année 43 millions de tonnes de matériaux, la production de déchets et l’artificialisation des sols, qui participent au fort impact environnemental du secteur.
Le bâtiment est un contributeur de poids à l’impact environnemental de la France et l’acte de construire n’est pas anodin sur le plan environnemental. Les logements neufs ont représenté 42  % de l’artificialisation des sols au cours des dix dernières années (Observatoire de l’artificialisation, 2021). Par ailleurs, les matériaux de construction et équipements représentent entre 65 et 85 % des émissions de gaz à effet de serre d’un bâtiment neuf sur l’ensemble de son cycle de vie (ADEME, 2020).

Les objectifs environnementaux français (neutralité carbone, zéro artificialisation nette…) viennent directement interroger ces impacts et nécessitent de se projeter à l’horizon 2050.
Suivant le plan gouvernemental « France Nation Verte 2030 » mis en place depuis janvier 2023, pour gagner en sobriété, la planification consiste à activer plusieurs leviers :

  • Améliorer la performance des logements neufs.
  • Ne construire qu’en adéquation avec nos besoins.
  • Éradiquer les passoires thermiques.
  • Repenser l’aménagement de nos villes.

Ces mesures visent la neutralité carbone et une meilleure qualité de vie, des logements moins coûteux en énergie et plus adaptés au changement climatique.
La rénovation et la construction neuve sont responsables de 25 à 30 % des émissions de CO² et la production de ciment entre 7 % et 10 % des émissions mondiales de CO². Les émissions de la filière Ciment s’élevaient à 18,3 Mt de CO² en 2015 soit le troisième plus gros poste d’émission après les mines-métallurgie et la chimie.

En France, le ciment est le matériau le plus utilisé dans la construction et représente 50% de part de marché des maisons individuelles, 75  % des logements collectifs et tertiaires au détriment de la brique, du bois, entre autres matériaux plus vertueux.

Or, la production de ciment et du béton dans les constructions contribue à la consommation de la concentration de CO² dans l’atmosphère de 7  % des émissions en 2021 dont 98  % dû à la fabrication du ciment par la décarbonisation des calcaires et aux combustibles fossiles pour la cuisson.

La filière a réduit de 27 % ses émissions de CO² depuis 2010, mais ceci est essentiellement dû à la baisse de l’activité de construction et à l’amélioration des combustibles utilisés dans la fabrication du ciment.

L’ADEME, dans le plan de transition sectoriel du ciment, a fixé la stratégie nationale bas carbone et préconise une réduction de 81 % d’ici 2050, et Négawatt de 50 % de consommation de béton en 2050 par rapport à 2014. Cette sobriété imposée suppose une réflexion stratégique sur :

  • Une réduction de la construction de bâtiment neufs par le réemploi et la réhabilitation de l’existant.
  • Une éco-conception des bâtiments pour limiter la quantité de béton et ciment par unité avec des matériaux biosourcés (béton de chanvre, etc..).
  • Le développement de l’économie circulaire par le recyclage des matériaux de construction pour produire du ciment bas carbone par le développement de filière de tri et recyclage (les déchets du BTP représentent 260Mt dont 42 Mt de granulat béton).
  • La formation et la sensibilisation du personnel tout au long de la chaîne de production et conception jusqu’à la maîtrise d’ouvrage et maître d’œuvre.

2/Les conséquences du Zan Zéro artificialisation nette sur l’urbanisme opérationnel du logement

En France métropolitaine, les milieux urbanisés continuent de s’étendre et regroupent 77 % de la population, 2,7 millions d’hectares sur les 55 de la métropole sont artificialisés. Le tissu urbain progresse de 1,6 % entre 2000 et 2006, tendance qui se confirme. Le rêve d’une majorité de français est d’être propriétaire d’un pavillon avec jardin situé près des aménités urbaines (cf. : JM Stébé-Le pavillon, Une passion française Puf 2023).

Les espaces de nature représentent en moyenne 40 % de la surface des 28 villes françaises de plus de 200 000 habitants. Selon l’atlas urbain européen, les espaces de nature d’une aire urbaine représentent en moyenne 39 m2 par habitant, cette superficie s’affaiblit nettement en zone dense.

Les pressions s’exerçant par les milieux urbains sur leurs espaces de nature sont multiples et intenses ; il s’agit notamment de l’imperméabilisation des sols et sous-sols. La plupart des grandes aires urbaines continuent de s’étendre ou de se densifier consommant toujours plus d’espaces et générant une fragmentation des milieux naturels ; des perturbations des habitats naturels et des espèces ; des émissions de polluants dans les sols, l’air et l’eau ; des nuisances sonores, olfactives, lumineuses néfastes à la biodiversité. La qualité des sols reste le parent pauvre de la planification urbaine.

L’étalement de logement social plus économe en foncier dans l’exemple de la région des Hauts-de-France

Sur la période 2009-2017, 23 624 logements sociaux ont été produits dans le cadre d’opérations consommant des espaces naturels agricoles et forestiers. La consommation foncière de ces 862 ha de logements sociaux est estimée à :

• 5,4 % de la consommation foncière totale à l’échelle régionale
• 12,4 % de la consommation foncière liée au secteur de l’habitat
• 18,6 % de la consommation foncière liée aux opérations de promotion immobilière de plus de 2 logements (hors construction pour soi).

Cette efficacité du secteur du logement social s’illustre par plusieurs facteurs :
En premier lieu, les opérations de logement sociaux sont majoritairement situées dans les agglomérations et métropoles de la région, pour lesquelles le tissu urbain et les conditions de marché entraînent une plus forte efficacité.

Les opérations de logements sociaux sont généralement de plus grande taille : moins de 20 % des nouveaux logements sociaux sont situés dans des opérations entre 2 et 19 logements, contre 45 % pour les logements privés.

Le secteur du logement social se distingue par une production importante (77,4 % du total) dans les classes de densité les plus élevées (supérieures à 20 log/ha). De son côté, le privé ne réalise que 34,5 % de la production de logements dans ces classes de densité.

À une échelle régionale, le poids du logement individuel dans la consommation d’espace diffère entre secteur social et secteur privé : tandis que le logement individuel représente 57 % des logements sociaux construits en consommant de l’espace naturel, cette proportion est de 88 % pour le logement privé.

Enfin, si l’on observe la construction totale, sur la période 2010 – 2020, plus de 42 % des logements sociaux produits sont localisés au sein de la tâche urbaine, contre 38 % pour la promotion privée (hors construction pour soi).

3/ Le coût de l’inaction des acteurs face au changement climatique dans le secteur du bâtiment

Dans une étude sur les impacts du changement climatique sur les bâtiments aux horizons 2050 et 2100 compilé dans un document de travail de France stratégie de mars 2023, l’Ademe identifie les menaces sur les bâtiments provoquées par le changement climatique  : le retrait-gonflement des argiles, les risques d’inondations, de submersion marine, l’exposition aux feux de forêt, les cyclones (pour les Outre-mer). Ces risques préexistent au changement climatique, mais pourraient se retrouver accentués ou modifiés avec le réchauffement global.

Plusieurs éléments de chiffrage des risques pesant sur les bâtiments existent à l’échelle européenne :

  • Le dernier rapport du Giec souligne que le risque d’inondation va augmenter en Europe, doublant le coût de dommages et le nombre de personnes touchées pour un niveau de réchauffement global au-delà de 3 °C.
  • D’après le programme de recherche européen COACCH166, les dommages supplémentaires engendrés par les inondations dues au changement climatique s’élèveraient à 12 milliards d’euros par an à l’horizon 2050, et à 20 milliards d’euros par an à l’horizon 2080.
  • D’après le programme de recherche européen Peseta IV167, les coûts induits par les inondations passeraient de 7,8 milliards d’euros à 48 milliards d’euros en 2100 à + 2°C.

La même étude estime que les dommages engendrés par les épisodes de sécheresse passeraient de 9 milliards d’euros par an aujourd’hui à 45 milliards à l’horizon 2100 pour un niveau de réchauffement global de + 3 °C : cette somme serait divisée par deux pour un niveau de réchauffement global de + 1,5 °C.

Enfin, 15 millions de personnes supplémentaires seraient exposées à un risque de feu de forêt (+ 24 %) pour un niveau de réchauffement global de + 3°C : ce chiffre serait réduit à 5 millions de plus pour + 1,5 °C.

Conclusion

La Fédération INTERCO-CFDT soutiendra toutes les initiatives qui viseront à financer plus fortement, plus justement les initiatives de OPH et COOP HLM. Nous appelons à un regard sur les coûts de constructions et au soutien à des choix de matériaux durables, alternatifs, vertueux, respectueux de l’environnement lors de la construction et dans le quotidien des locataires.

Le logement social, le poids des OPH et COOP HLM doit être vu, respecté et soutenu comme un choix de société, celui de loger les plus modestes dans les conditions les plus dignes. 

Edition OPH -32e édition – Septembre 2023

En savoir plus

Office public de l'habitat
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