Contrer l’offensive de déréglementation en Europe
Quand les syndicats organisent une riposte après les élections européennes de 2024 afin de prévenir tout renoncement aux ambitions du pacte vert et aux droits humains, piliers de l’Union européenne.
Pourquoi la Commission européenne souhaite déréguler sous prétexte de simplification ?
L’influence croissante de l’extrême droite en Europe pèse lourdement sur les décisions politiques. Ses élus prônent une Europe « désentravée » avec moins de normes environnementales, moins de droits sociaux, moins de syndicats. Sous couvert de “ libérer l’économie ”, ils défendent en réalité une Europe du repli et du « dumping », où la justice sociale, la démocratie et l’écologie deviennent secondaires.
Forts de cette situation, le bloc conservateur et les milieux patronaux se voient pousser des ailes pour détricoter des mesures chèrement acquises qui constituent l’Europe sociale et environnementale. Cette offensive trouve malheureusement aussi un écho dans plusieurs gouvernements, qui se rangent derrière la logique du “ moins de règles pour plus de croissance ”. En particulier l’Allemagne qui, en pleine crise économique et menacée par les mesures de Trump en matière de barrière tarifaire, soutient le détricotage de certaines directives de la précédente mandature. La France, qui avait été pionnière dès 2017 en matière de mesures phares comme le « devoir de vigilance », a fait volte-face et s’aligne maintenant sur les positions allemandes.
Une dérégulation sous prétexte de simplification
C’est dans ce contexte que la Commission européenne a présenté en février 2025, le paquet législatif intitulé “ Omnibus ” qui regroupe plusieurs révisions majeures des textes adoptés lors de la précédente mandature : la directive sur le devoir de vigilance (CS3D), la directive sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD) 2 et une partie du pacte vert européen. Cette volonté de dérégulation menace aussi d’autres directives comme celle sur la transparence salariale votée en 2023, outil essentiel pour réduire les inégalités femmes-hommes en matière salariale, ou encore la directive sur les marchés publics. La Commission européenne prévoit de la réviser avec en ligne de mire, un allégement des possibilités en matière de clauses sociales et environnementales.
Ces initiatives se veulent être la réponse à la publication (début septembre 2024) du rapport Draghi qui identifie la complexité et le volume de la réglementation européenne, comme un point faisant obstacle à la compétitivité européenne. Officiellement, il s’agit de réduire la complexité. Mais en réalité, ce sont des garde-fous sociaux et environnementaux essentiels que l’on tente de remettre en cause. C’est bien le coeur du modèle social européen qui est menacé. Pour la CFDT et ses partenaires européens, cette vision court-termiste de la commission européenne est dangereuse : elle affaiblit la cohésion sociale, la protection des travailleurs et la capacité de l’Union européenne à répondre aux crises climatiques et économiques.
Pourquoi la directive européenne « Devoir de vigilance » est menacée de recul ?
L’adoption définitive en avril 2024 de la directive européenne sur le devoir de vigilance, a été saluée par la CFDT (lire le communiqué de presse « Devoir de vigilance des entreprises : un texte historique pour l’Europe » daté du 25 avril 2024 sur cfdt.fr). Et pour cause, poussée par l’engagement de la CFDT, du monde syndical et des ONG, la France avait été pionnière du devoir de vigilance en adoptant une loi en la matière dès 2017, alors qu’Emmanuel Macron était ministre de l’Économie.
Cette directive est une avancée majeure qui oblige les entreprises de plus de 1 000 salariés et réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 450 millions d’euros à être vigilantes des conditions de travail et de sécurité de leurs filiales et sous-traitants partout dans le monde dont elles peuvent être tenues responsables. Elle reconnaît aussi le rôle essentiel des syndicats et des représentants du personnel au cours du processus d’élaboration des plans de vigilance au sein de ces sous-traitants.
L’initiative Omnibus lancée début 2025 par la Commission européenne vise à limiter drastiquement la portée de cette directive historique en restreignant les obligations de vigilance ou en relevant les seuils. Pour la CFDT et ses partenaires européens, cette régression serait un contresens historique : on ne protège pas la compétitivité en sacrifiant les droits humains et l’environnement (lire le communiqué de presse « Devoir de vigilance, une position à rebours de l’histoire » daté du 20 mai 2025 sur cfdt.fr).
Après une tentative de voir adopté le paquet de mesure « Omnibus » dans débat, celui -ci a été renvoyé a des discussions suivies d’un vote au Parlement européen qui auront lieu en novembre 2025.
Pourquoi la FSESP mène un lobbying contre la révision de la directive sur les marchés publics auprès du commissaire européen ?
Arguant de la nécessité d’une « simplification », la Commission européenne a annoncé récemment vouloir engager une consultation dans le but de réviser la directive européenne sur les marchés publics. La Fédération syndicale européenne des services publics (FSESP) craint à raison que la véritable ambition ne soit d’assouplir les procédures et les incitations permettant recours à des clauses sociales et environnementales.
Pour les syndicats, notamment ceux qui œuvrent dans les champs du service public, cette orientation serait inacceptable : les marchés publics représentent près de 14% du PIB européen et doivent être un levier pour favoriser l’emploi durable de qualité, l’emploi social, les normes sociales élevées, et la transition écologique.
Dans le cadre de son comité de secteur ALR (Administration locale et régionale), dont notre fédération CFDT Interco assure la vice-présidence, la FSESP a engagé un travail de lobbying notamment auprès du cabinet du français Stéphane Séjourné, Vice-président exécutif de la Commission européenne à la Prospérité et à la Stratégie industrielle.
Grace à ce lobbying nous sommes déjà presque assurés que la future directive ne fasse pas du prix le critère prépondérant de choix d’un prestataire de marché public. Nous nous attachons maintenant à faire comprendre qu’actionner des clauses environnementales et sociales pourraient s’avérer bénéfique aux entreprises européennes pour répondre aux taxe douanières de Trump, puisque nos entreprises sont souvent bien plus avancées en la matière que leurs concurrents notamment chinois ou américains. Gageons que nous saurons faire entendre raison à la Commission européenne et à une majorité de députés.
Pourquoi une reprise des manifestations syndicales européennes pour défendre l’Europe sociale ?
Le 7 octobre 2025, à l’occasion de la Journée mondiale pour le travail décent, la Confédération européenne des syndicats (CES) a rassemblé des militantes et militants de toute l’Europe à Vienne (capitale de l’Autriche) avec pour mot d’ordre principal le soutien à la feuille de route européenne pour des emplois de qualité.
Cette feuille de route, élaborée par la Commission européenne après consultation des partenaires sociaux, doit normalement aboutir à des mesures législatives et non législatives pour améliorer la qualité de l’emploi en Europe. Pourtant, la Commission européenne a récemment laissé entendre qu’elle n’envisage plus de mesures contraignantes pour la promouvoir. Si cette intention était confirmée, cela limiterait fortement l’impact social escompté.
Cette mobilisation européenne du 7 octobre a combiné des conférences et une mobilisation visible de rue afin de peser sur les décisions à venir, et exiger une feuille de route ambitieuse, contraignante et réellement source de progrès sociaux.
D’après Matthieu Fayolle, secrétaire fédéral « Europe International » de notre fédération CFDT Interco, présent en soutien à cette mobilisation avec des représentants de la CFDT PSTE et FGEM, et une délégation de la FSESP : « il est important de relancer les mobilisations visibles au niveau européen pour dénoncer le déséquilibre des choix actuels de la Commission van der Layen qui avance vite sur les réformes souhaitées par des employeurs (déréglementation), mais repousse à plus tard les initiatives en faveur des travailleurs et de l’Europe sociale. Il faut rappeler avec force que les services publics, la justice sociale et les droits syndicaux sont une des colonnes vertébrales du projet européen, ce n’est pas en les affaiblissants que nous restaurerons durablement une compétitivité. Il faut au contraire, construire notre « marque Europe » autours de notre modèle social ».
Cette journée de mobilisation aura également permis de réaffirmer le soutien des syndicats à la directive sur la transparence salariale, outil essentiel pour réduire les inégalités femmes-hommes et garantir un travail décent pour toutes et tous.
Cette mobilisation s’inclu dans un cycle qui a commencé en février 2025, à Bruxelles contre le paquet législatif Omnibus (visant à détricoter certaines des directives sociales adoptées lors de la précédente mandature et une partie du pacte vert européen). De nouvelles euro-manifestations seront mises en place à nouveau en 2026.
Légende photo :
De gauche à droite, présents lors de la mobilisation syndicale européenne à Vienne (Autriche) le 7 octobre 2025 : I. Schömann, secrétaire générale adjointe de la CES, H. Ibanez, secrétaire générale de la CFDT PSTE, C. Ruffié (FGTE CFDT) présidente du comité des jeunes de la CES, M. Fayolle, secrétaire fédéral CFDT Interco